
Une triste semaine pour la communauté de l’INSAS, qui apprend le décès de Ricardo Castro ce 17 décembre 2025. Avec Ricardo, l’option Son perd une figure marquante de son histoire.
Tour à tour étudiant et puis enseignant à l’INSAS, Ricardo Castro a marqué les esprits et les cœurs de celles et ceux qui ont eu la chance de le rencontrer.
Merci à Olivier Hespel de partager les mots qui suivent, en hommage à Mr. Castro.
Ricardo est à mes yeux l’incarnation de l’élégance.
Sa première vie de styliste de mode dans les années 1960 n’en est qu’une des expressions.
Lassé de retoucher au point de les trahir ses modèles de manteaux élancés pour satisfaire aux exigences de sa clientèle chic, il claque la porte de son atelier et, âgé de trente-trois ans et père de famille, féru de Jazz, trompettiste de talent, il entre en section Son à l’INSAS en 1973.
Il fait partie de cette génération de précurseurs de la prise de son cinématographique belge qui, par leur amour du son, leur exigence et la qualité de leur travail ont fait la renommée du son direct belge, et par ricochet celle de l’INSAS dont tous étaient issus. Une renommée qui s’est rapidement étendue au-delà des frontières.
En parallèle de sa longue carrière d’opérateur du son, Ricardo a été le professeur de générations d’étudiant.e.s de l’INSAS à qui il a rappelé que l’essentiel est dans l’écoute et que les doigts sur les potentiomètres sont le prolongement de l’oreille.
Il fallait le voir moduler avec ardeur, les amples mouvements de ses doigts contrastant avec la calme intensité de son regard sur la scène qu’il enregistre. Partout il portait l’élégance : dans ses rapports humains, mêmes dans les échanges parfois rugueux des plateaux de tournage. À la tempête il opposait sa retenue. Un haussement de sourcils, un regard suffisaient souvent à exprimer l’essentiel, sans le danger des mots blessants ou maladroits.Il connaissait la puissance du son, la force d’une phrase en suspens, bien plus lourde d’imaginaire que les anathèmes. Une élégance exemplaire en ces temps d’invectives.
Toujours soucieux de justesse – il était trompettiste et la justesse à la trompette réside dans la sincérité du souffle et la finesse du doigté – soucieux de justesse,
Donc, il s’efforçait lorsque l’heure était au débat de préciser ses pensées, essayait d’appréhender au plus près celles de l’autre, pour déblayer le chemin qui nous relie.
Que de soirées après tournage avons-nous passées à confronter nos opinions, à nous accorder l’un à l’autre !
Là encore, la musique. Là encore l’élégance : écouter l’autre, le reconnaître pour être ensemble.
C’est fascinant, l’infinie variété de nuances qu’offre la trompette avec ses trois pauvres pistons perdus dans les boucles de cuivre. Trois pistons ridicules comparés aux quatre-vingt-huit touches alignées en bon ordre, bien visibles sur le clavier du piano.
Sur un plateau de tournage bruyant et agité où souvent l’emportent les plus loquaces, les verbeux, Ricardo avait le talent d’émettre des avis très circonstanciés avec une remarquable économie de moyens : son jeu de sourcils, une palette de regards et sa proverbiale variété de « oui », « mouais », « mmmmhhhh » associée à des mouvements de mains laissaient comprendre les nuances de son avis sur la prise. Tant pis pour celles et ceux qui ne saisissaient pas la clarté de ces sous-entendus. Car en laissant ces points de suspension, Ricardo invitait à l’élégance de bien vouloir entendre son message.
Sur les tournages, si Ricardo était souvent la personne la moins bavarde, il finissait toujours par être l’une des plus écoutées.
Jusqu’à la dégradation de sa santé ces derniers mois, il aura su profiter, fêtant le onze mai dernier ses quatre-vingt-cinq ans par une de ces fêtes qu’il affectionnait, riant, buvant et discutant en écoutant de la bonne musique jusqu’à l’aube avec ses nombreux proches et amis de tous âges et de toutes conditions. Car là aussi, la maison de Ricardo était toujours ouverte à l’amie en détresse, la connaissance sans le sou, le cousin de la copine d’un de ses enfants qui ne sait pas où dormir ou n’a pas de quoi manger. Partager, jouir de la vie.
Jusqu’au bout, l’élégance.
Olivier Hespel